Comptes-rendus

Voici des comptes-rendus sur une sélection de présentations du colloque « Platefomers  et usages » par Hugo Samson

Au début du mois de novembre avait lieu le colloque international « Plateformes et usages », organisé par le Labo Télé de l'Université de Montréal. Les présents comptes-rendus, des versions synthétisées et digestes d'une sélection de conférences triées sur le volet, visent à rendre accessible le savoir diffusé durant cet évènement, qui réunissait plus de cinquante conférencier·ères ainsi qu'une grande variété de disciplines.

David Nieborg — Platforms and Cultural Production

Au début de cette première journée du colloque international Plateformes et usages, David Nieborg, professeur associé d’études médiatiques à l’Université de Toronto, a présenté la conférence Platforms and Cultural Production. Basé sur un livre dont M. Nieborg est co-auteur, l’exposé remettait en question l’idée répandue selon laquelle les plateformes numériques démocratisent la production culturelle dont elles sont les hôtesses. « It remains unclear how exactly platformizing reshapes cultural creation, distribution, marketing and monetization, » partage le conférencier, « since it is a process that opens up new opportunities and reconfigures the balance of power within the cultural sphere. » De nature pluridisciplinaire, l’étude de Nieborg fait dialoguer les sciences de la gestion, l’économie politique et les sciences sociales afin d’examiner l’influence des marchés financiers sur la diversité culturelle retrouvée au sein de ces plateformes.

Marie-Caroline Neuvilliers et Gaëtan Rivière — Les communautés des amateurs de ballet sur Instagram: pratiques numériques et créatives

À leur tour, Marie-Caroline Neuvilliers (Avignon Université) et Gaëtan Rivière (CNAC) offraient aux spectateur·ices une analyse du phénomène de balletomanie telle qu’elle se manifeste sur la plateforme Instagram. Pendant l’essort des grands ballets au dix-neuvième siècle, les balletomanes étaient des spectateurs assidus, des fins connaisseurs qui maîtrisaient les codes de l’art et se regroupaient pour en discuter. Aujourd’hui, des comptes Instagram perpétuent et actualisent la balletomanie. Selon les présentateurs, même si la plateforme numérique n’a pas apporté de changements significatifs dans la pratique, certaines pratiques issues des réseaux sociaux se sont mélangées aux codes traditionnels (comme le marchandising) et l’approche analytique des anciens balletomanes a laissé place à une approche sensible, axée davantage sur l’appréciation et le partage des émotions dans l’espace des commentaires.

Katharina Niemeyer et Christine Thoër — Appropriations des séries marquantes et réflexions identitaires en contexte de visionnement connecté — expérience de jeunes adultes au Québec.

Le projet de Katharina Niemeyer et Christine Thoër, à la fois étude de terrain et recherche-création, visait à comprendre la popularité grandissante du médium télévisuel auprès des jeunes adultes. L’avènement du numérique ayant rendu plus intime l’expérience de visionnement, comment cette expérience mobilise-t-elle le travail de réflexion identitaire? À l’aide de vingt entretiens, les chercheuses ont fait ressortir quatre formes d’appropriation soutenant le travail identitaire: la création de souvenirs, la création de ressources pour gérer les émotions, l’ouverture d’un espace où se sentir à la maison et la construction de récits de soi afin de mieux se comprendre et de négocier des évènements biographiques. Une exposition a, par la suite, été montée selon les résultats de l’étude.

Carl Therrien — "Is There a Platform in this Talk?" Extensions technologiques, commerciales et culturelles dans le monde de la PC Engine.

« Avez-vous remarqué que nos plateformes deviennent de plus en plus merdiques? » Dans la salle, tout le monde semblait acquiescer avec cette question, posée par le professeur Carl Therrien (Université de Montréal.) Comment expliquer cela? Capter les utilisateurs requiert la stabilisation de leurs habitudes de consommation, ce qui passe souvent par l’uniformisation des contenus. Selon le conférencier, l’avilissement des plateformes est accepté car il est graduel et car il est difficile pour les utilisateurs de s’extraire d’un écosystème. Au centre de la conférence, la question suivante: Mais était-ce mieux avant? Lors de sa présentation, M. Therrien comparait les trajectoires de la compagnie japonaise NEC et de la console PC-Engine afin d’adresser avec humour et érudition le phénomène de normativité qui a historiquement affligé l’industrie du jeu vidéo.

Frédérique Khazoom — Understanding Netflix as an Assemblage

Si plusieurs chercheurs s’intéressent aujourd’hui à la plateforme Netflix, c’est en partie à cause de la confidentialité de l’entreprise, et aussi car cette dernière est en constante évolution. Pour la doctorante Frédérique Khazoom (Université de Montréal, Université d’Amsterdam), la plateforme ne doit pas être conçue comme une structure, mais comme un assemblage (un concept emprunté à des penseurs français tels Gilles Deleuze), ouvert et mobile. « Within an assemblage, changes take place in a process of interactions determined in non-linear forms. The past continuously conditions the present. » L’analyse de plusieurs caractéristiques de la plateforme, comme son emploi d’une idéologie de l’innovation ou son statut global, sous l’angle de l’assemblage a offert aux spectateurs une vision critique de cette omniprésente entité culturelle.

Guillaume Soulez — De la délibération actée à l'activisme délibératif: vers une alternative à la récursivité?

Dans le contexte du panel « Regards critiques », le chercheur Guillaume Soulez (Sorbonne Nouvelle) abordait quelques pistes de réflexion afin d’étudier le passage de la critique des formats médiatiques par des communautés spectatrices à la création de nouveaux médias alternatifs. Au sein des espaces de délibération, tels les forums en ligne, la critique d’un cinéma « formatté » semble aujourd’hui et depuis une vingtaine d’années, omniprésente. Le terme « formes plates », utilisé pour décrire ce phénomène d’uniformisation du contenu, renverse le terme de plateformes ; de fait, ce sont ces dernières qui, selon Guillaume Soulez, structurent l’industrie et influencent les rapports de force entre usagers et médias. Pour y échapper, le présentateur donne l’exemple des films de David Dufresne (Prison Valley), œuvre interactives qui mobilisent la participation active de ses spectateur·ices.

Edouard Bouté et Raphaël Lupovici — Circulation en ligne des images de la révolte des Gilets jaunes: Au croisement des terrains et des méthodes

La conférence d’Edouard Bouté (Sorbonne Université) et Raphaël Lupovici (Paris-Panthéon-Assas) examinait le rôle des plateformes, et plus précisément de Facebook, dans la formation de la critique des Gilets jaunes envers les forces de l’ordre, les médias et le pouvoir politique. Les plateformes numériques sont, effectivement, un espace de choix dans la configuration d’un cadrage adversarial. Pendant les manifestations, les Gilets jaunes prescrivaient une interprétation claire des images et vidéos violentes publiées en ligne à l’aide de l’espace textuel descriptif rattaché à celles-ci dans l’interface de Facebook. De plus, la formule en « groupes fermés » du site web résulte en une non-mixité politique au sein des membres, ce qui facilite l’identification rapide d’un adversaire et promeut la cohésion. L’éclairante présentation a rendu limpide les enjeux politiques liés aux plateformes numériques.

Florian Body — Indépendance et émancipation créative : la circulation des images dans la scène démo

Connaissez-vous la scène demo? Cette communauté audiovisuelle était au centre de la conférence donnée par Florian Body (IRCAV.) Ses membres utilisent la programmation pour créer des animations complexes qui explorent les potentiels techniques des ordinateurs et témoignent de leur virtuosité informatique. Sans structure institutionnelle et œuvrant dans une économie non-marchande, comment la communauté est-elle capable d’organiser année après année des évènements d’une immense ampleur? Le fort esprit communautaire de cette sous-culture peut être expliqué en partie par son émancipation vis-à-vis des outils de diffusions dominants (Twitch, Discord) en faveur de plateformes indépendantes, crées par les praticiens du démo.

Marina Alcaraz et Arnaud Mercier — Comment un rival peut devenir tour à tour concurrent puis allié: le changement de rhétorique des dirigeants de télévision française vis-à-vis de Netflix

Si le nom de Netflix semble être dans toutes les bouches pendant le colloque, c’est bien parce que la compagnie est aujourd’hui une entité culturelle tentaculaire et omniprésente qui génère inévitablement une grande quantité de discours. Marina Alcaraz (Echos) et Arnaud Mercier (Université Paris-Panthéon-Assas) ont examiné devant les spectateur·ices le discours des acteurs entourant Netflix, en prenant comme cas de figure la fusion avortée de TF1 et M6. Si, autour de 2014, les acteurs de la télévision française s’affairaient à réfuter la lointaine présence des plateformes de streaming, leur discours s’est adouci quelques années plus tard, lorsqu’ils semblaient plutôt encourager la coopération. Exposant ainsi les vicissitudes des discours circonscrivant Netflix, Alcaraz et Mercier ont parfaitement illustré comment la sphère culturelle a dû s’adapter maintes et maintes fois en réaction à la fulgurante montée de la plateforme américaine.

Claire Cornillon — Pratiques de réception des séries sur TikTok

Connaissez-vous Kandy Fong? En 1975, elle créé la première fan video en extrayant des images de la série Star Trek afin de les réassembler en leur octroyant une toute nouvelle valeur narrative. Dans sa conférence, Claire Cornillon (Université de Nîmes) examinait comment cette pratique s’articulait aujourd’hui autour du réseau social TikTok. En analysant l’histoire de ce format ainsi que ses diverses modalités, la conférencière démontrait clairement que les outils formels de ces vidéos de fan ont, au fil du temps, modelé la structure des réseaux sociaux. Certaines fonctionnalités de l’application TikTok, et précisément les options de montage telles duet et stitch qui sont intégrées à même son interface, semblent effectivement être nées de cette pratique du fan video, centrée autour du remontage d’images préexistantes.

Joyce Cimper — Productions faniques: pour un investissement auditif de la diégèse.

La conférence donnée par Joyce Cimper (Université de Montréal) examinait comment la production médiatique des fans sur les réseaux sociaux pouvaient prolonger l’expérience d’une série télévisée. Les vidéos d’ambiance, par exemple, reconstruisent un monde fictif à l’aide d’effets sonores et de musique diégétique. Bruits de pas et morceau de musique crépitant reconstruisaient par exemple l’ambiance sonore du bureau d’Hannibal Lecter. En plus d’une enquête minutieuse du phénomène, la conférence analysait avec perspicacité comment les formats propres aux différentes plateformes incitaient les créateurs à créer des types de vidéos bien spécifiques. On pense notamment aux vidéos d’ASMR roleplay, dont l’objectif est de créer une relation de coprésence avec les spectateurs et qui sont, donc, mal servies par le format court associé à la plateforme TikTok.

Charline Blanc — Le tutoriel médiatique: un nouveau genre médiatique?

Dans le contexte actuel de web participatif, le développement des outils et des supports de visionnage permet à tout un chacun de produire sans argent du contenu médiatique. L’étude de Charline Blanc (Université de Technologie de Troyes) portait justement sur la relation entre les tutoriels autant amateurs que professionnels partagés sur les plateformes numériques comme YouTube et ceux diffusés sur les médias traditionnels aujourd’hui. Il existe effectivement depuis 1956 des émissions télévisuelles ayant une portée éducatives, portant sur une panoplie de sujets, comme la cuisine ou le jardinage. En ligne, toutefois, le phénomène se complexifie. Les plateformes offrent par exemple la possibilité aux créateurs de vendre des produits dérivés et dématérialisés (livres électroniques, formations.) De plus, l’opacité du fonctionnement des algorithmes les force parfois à adopter des stratégies de visibilité originales.

Stéfany Boisvert et Dominique Gagnon — Le cas Rings of Power : tensions et factions au sein d'une communauté de fans.

Pour mener leur étude qui se concentrait sur les relations fluctuantes au sein des communautés de fans, Stéfany Boisvert et Dominique Gagnon (UQÀM) ont utilisé le momentum d’une controverse, celle de l’annonce d’une distribution issue de la diversité pour la série Rings of Power. La présentation exposait dix-sept postures adoptées en ligne par les fans et les anti-fans. Certaines étaient positives (ceux qui approuvent le choix d’une distribution diverse) et d’autres, négatives (des opposants du politically correct aux théoriciens du grand remplacement.) Ce que les chercheuses voulaient démontrer, c’était que la réception d’une œuvre médiatique est bien plus qu’un acte créateur de sens, et que les perspectives se déclinent en une énorme quantité de postures distinctes qu’il est important de nuancer.

Crédit photo Audrey-Ann Lachance

Hugo Samson

Hugo Samson est étudiant au baccalauréat en littérature comparée à l'Université de Montréal. Il s'intéresse aux théories de l'intermédialité ainsi qu'à l'intersection entre l'art et la politique dans les espaces culturels comme les musées, les salles de cinéma et les théâtres. Il aide avec les communications du Laboratoire CinéMédias, où il travaille comme auxiliaire de recherche.